De la République dominicaine au Mexique

La signature du protocole d’accord le 13 août peut représenter un pas significatif vers une solution à la crise vénézuélienne, bien qu’il soit encore trop tôt pour avoir un pronostic certain sur son issue. Les tentatives précédentes, et en particulier celle de la République dominicaine, ont naturellement alimenté le scepticisme de nombreux secteurs, mais il est juste de souligner au préalable que les contextes et les réalités ont considérablement changé en quatre ans, et il est possible que cela conditionne de manière favorable les objectifs, les intentions et les stratégies des parties.

La différence la plus notable entre l’époque de Saint-Domingue et aujourd’hui est peut-être que le gouvernement et l’opposition ont été fortement affaiblis, comme en témoignent les récents sondages qui montrent le faible soutien des différents dirigeants des deux camps, ainsi que la perte de prestige des institutions traditionnelles de l’État et de la société (un déclin dont seules l’Église et les universités ont été quelque peu épargnées). Début 2018, en effet, le régime se sentait relativement renforcé par la victoire étonnamment large des élections régionales de 2017 (les premières que l’on peut sans conteste qualifier de non compétitives), et l’opposition était encore toute fraîche de la victoire éclatante des élections législatives de 2015, même si l’Assemblée nationale était déjà ouvertement ignorée par les autres branches du gouvernement (la fraîcheur de cette victoire explique l’appel aux longues et épiques protestations de 2017).

Le régime qui, avec tout son calcul et son arrogance, a jeté la table à Saint-Domingue en février 2018, n’imaginait pas que le processus hyperinflationniste qui a commencé fin 2017 deviendrait le plus élevé au monde dans l’histoire moderne récente, et qu’il finirait par dévaster ce qui avait été l’économie la plus prospère d’Amérique latine pendant une grande partie du XXe siècle, jetant au moins 85 % des Vénézuéliens dans la pauvreté. Face à cette catastrophe, Maduro a opté, comme c’est sa stratégie depuis son arrivée au pouvoir, pour la fuite en avant, et a ainsi appelé à une élection présidentielle frauduleuse en mai 2018. La grâce a servi à le maintenir au pouvoir mais elle a quand même fini par être mortifère : à la perte de légitimité de la performance (qui a commencé avec Chávez et est montée en flèche avec lui) s’est ajoutée la perte de légitimité de l’origine ; une circonstance dont Guaidó a profité pour déclarer la présidence intérimaire en janvier 2019, en construisant et en capitalisant sur un fort soutien international aux forces démocratiques, qui reste solide à ce jour. Malheureusement, la répression déclenchée par le régime, les erreurs du président courageux mais inexpérimenté et de ses alliés, et la diplomatie tapageuse mais inefficace de Trump, ont conduit à l’affaiblissement prononcé de l’opposition aujourd’hui.

Ce qui est curieux, c’est que l’accord de Mexico, tant dans sa forme que dans son contenu, a été rendu possible, en fait, par cet affaiblissement prononcé du régime et de l’opposition. Tout cela a ressemblé à un match de boxe où les deux adversaires ont fait 15 rounds mais n’ont pas réussi à s’achever l’un l’autre, et maintenant ils sont épuisés, traînant les pieds et lançant des coups de poing sans compétence ni force. C’est certainement plus dramatique pour le régime, car du pouvoir hyper-centralisé et presque absolu qu’il a accumulé pendant la période Chávez, il ne reste plus que le pâle reflet d’un État qui ne contrôle plus le pays et ne peut même pas soumettre quelques cercles armés à la frontière d’Apure. Cette situation a ravivé l’option de recourir à des arbitres externes et équilibrés, qui servent de médiateurs et favorisent des solutions qui ne cherchent plus à assommer l’un sur l’autre – la solution à somme nulle – mais plutôt une décision partagée, où les deux parties peuvent tirer des avantages tangibles de leurs logiques particulières.

Si l’on s’en tient strictement à l’écrit, l’agenda des négociations – et le protocole d’accord en général – traduit un échange très clair : en plus d’obtenir sa reconnaissance comme gouvernement de facto du pays et l’annulation des sanctions, le régime admet et concède les aspects les plus significatifs du programme politique des forces démocratiques : droits politiques et garanties électorales pour tous, calendrier électoral, respect de l’État de droit, réparation pour les victimes de la violence, etc. En plus de la forte pression nationale, la pression internationale et les multiples procès et réclamations en cours devant les instances internationales ont eu un impact non négligeable sur cet agenda.

Toutefois, ce qui est peut-être vraiment important dans ce mémorandum, c’est que, pour la première fois, le régime montre des signes d’évolution vers une transition politique qui pourrait impliquer – si l’on en croit son impopularité face aux nouvelles élections présidentielles – sa sortie définitive du pouvoir à court ou moyen terme. Nous devrons attendre les semaines et les mois à venir pour voir s’il adhère pleinement aux considérations de l’Accord, une question dont on peut légitimement douter si l’on tient compte de son constant mépris de la parole donnée et de ses engagements.

En l’absence de cette possibilité, on peut faire valoir que dans ses conditions actuelles (isolé, avec quelques alliés d’une force politique incontestable mais qui n’ont plus la force financière et économique), jeter à nouveau la table aurait des coûts très élevés pour sa crédibilité et sa situation future : Il gâcherait sûrement sa dernière chance d’assurer la survie de la franchise chaviste à moyen et long terme, surtout si l’on considère comme acquis qu’une situation césariste ou diluvienne (notamment la somalisation croissante du pays) pourrait prendre forme pour tenter de mettre fin à l’impasse catastrophique des forces en présence ces dernières années.

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République Dominicaine Live

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